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Qu'est-ce qui m'empêche d'être libre ?

Suite au dernier apéro-philo, un podcast de 3 minutes dans un contexte post-apocalyptique, ou plutôt post-confinement : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-chronique-d-aurelien-bellanger/qu-est-ce-que-c-est-la-liberte-8796343


Moins sérieusement, mais tout aussi intelligemment, le sketch de Raymond Devos : "Ca peut se dire, ça ne peut pas se faire !" : https://www.youtube.com/watch?v=73etnS43V98



Et voici les textes fournis comme supports de réflexion !

et en prime, la deuxième "lucubratio" de Maurice Guis !



Texte 1 :


Il est juste que ce qui est juste soit suivi ; il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu'il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste. La justice est sujette à dispute. La force est très reconnaissable et sans dispute. Aussi on n'a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu'elle était injuste, et a dit que c'était elle qui était juste. Et ainsi, ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

Blaise Pascal (1623-1662), Pensées sur la religion, publication posthume,

étude et édition comparative de l'édition originale avec les copies et les versions modernes par Jean-Robert Armogathe et Daniel Blot, Paris, Honoré Champion, 2011.



Texte 2 :


Premier impératif catégorique de la morale :

« Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature »

D'où découle la définition suivante : “L’autonomie est donc le principe de la dignité de la nature humaine et de toute nature raisonnable“.

Emmanuel Kant, Critique de la Raison pratique, 1788.



Texte 3 :


« La préméditation de la mort est préméditation de la liberté ; qui a appris à mourir, il a désappris à servir. Le savoir mourir nous affranchit de toute sujétion et contrainte. »

Michel Eyquem de Montaigne (1533-1592), Essais, I 20, 1577.



Texte 4 :


« J'appelle libre, quant à moi, une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature ; contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir d'une certaine façon déterminée. Dieu, par exemple, existe librement bien que nécessairement parce qu'il existe par la seule nécessité de sa nature. De même aussi Dieu se connaît lui-même librement parce qu'il existe par la seule nécessité de sa nature. De même aussi Dieu se connaît lui-même et connaît toutes choses librement, parce qu'il suit de la seule nécessité de sa nature que Dieu connaisse toutes choses. Vous le voyez bien, je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret mais dans une libre nécessité. Mais descendons aux choses créées qui sont toutes déterminées par des causes extérieures à exister et à agir d'une certaine façon déterminée. Pour rendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple : une pierre par exemple reçoit d'une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvements et, l'impulsion de la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement. Cette persistance de la pierre dans le mouvement est une contrainte, non parce qu'elle est nécessaire, mais parce qu'elle doit être définie par l'impulsion d'une cause extérieure. Et ce qui est vrai de la pierre il faut l'entendre de toute chose singulière, quelle que soit la complexité qu'il vous plaise de lui attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une cause extérieure à exister et à agir d'une certaine manière déterminée. Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu'elle continue de se mouvoir, pense et sache qu'elle fait effort, autant qu'elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément, puisqu'elle a conscience de son effort seulement et qu'elle n'est en aucune façon indifférente, croira qu'elle est très libre et qu'elle ne persévère dans son mouvement que parce qu'elle le veut. Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent. Un enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et, s'il est poltron, vouloir fuir. Un ivrogne croit dire par un libre décret de son âme ce qu'ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu taire. De même un délirant, un bavard, et bien d'autres de même farine, croient agir par un libre décret de l'âme et non se laisser contraindre. »


Baruch Spinoza, Lettre à Schuller LVIII, 1674



Incipit Lucubratio Secunda Mauricii philosophi



« Liberté, liberté chérie, Combats avec tes défenseurs... » s’écria Volodimir Zelensky devant ses soldats réunis.

- Alors, demanda une jeune recrue, quand nous aurons gagné la bataille pour la liberté nous pourrons faire tout ce que nous voudrons ?

-Euh ! Pas précisément… il faut nuancer… hésita leur caporal. Certes à l’âge des cavernes on pouvait faire presque tout ce que l’on voulait ; on jouissait d’une belle liberté : on pouvait percer à l’épieu rougi au feu le bide d’un voisin gênant ; les voleurs volaient, les violeurs violaient tranquillement, sans être ennuyés par les féministes ; on chassait sans permis et toutes les initiatives pouvaient se prendre. Et notez bien qu’on avait ainsi le temps de se cultiver ! Bien au chaud dans notre caverne, l’un frappait en cadence la peau tendue d’un cerf élaphe, l’autre soufflait dans un os long de bouquetin percé de trous au fer rouge, un autre encore, à la lueur des torches de bois résineux, esquissait, dans les entrailles de la terre, à l’argile vermeille et au charbon du foyer, les silhouettes des bisons, des girafes ou des tigres à dents de sabre ! Et tout ceci avec une liberté artistique TOTALE ! Ensuite une dose de champignon hallucinogène nous procurait un repos bien mérité, dans l’ivresse de l’anéantissement et sans intervention de la brigade antistup !

- Beau temps passé, aboya un prisonnier russe enchaîné à peu de distance, mais nous, cette liberté nous l’avions et vous nous l’enlevez ! Honte à vous ! »

Alors un vétéran sortit de l’ombre et dit :

« Vous connaissez sans doute les écrits de Teilhard de Chardin ? Ce grand scientifique, après avoir observé attentivement l’évolution depuis les origines, conclut "Dans l’Univers tout converge vers un mystérieux point oméga, en avant de nous". Ainsi, placée à la pointe de l’évolution, l’humanité est passée de la horde à la tribu, de la tribu à la cité, de la cité à la région, à la nation au continent et sans doute au monde ! Évidemment, en chemin nous avons dû tisser entre nous des liens de plus en plus étroits qui nous rendent tributaires les uns des autres, mais, je souligne, pour le plus grand bien de notre fourmilière.

- Et maintenant, s’écria un autre, nos cartes de crédit surveillent nos avoirs, nos conversations sont sur la place publique, nos déplacements sont filmés et notre ADN, analysé, nous dénonce aux sbires du pouvoir ! Cela s’appelle-t-il être libre ? »

Un autre soldat qui était resté dans l’ombre se leva alors et dit :

« Le Christianisme nous parle aussi de liberté. Le Christ, par sa résurrection nous a libérés de la mort. Certes. Et Dieu nous laisse libres de choisir entre le Bien et le Mal, ce qui est bien embêtant, surtout en ce moment. Mais quand à donner notre avis au sein de l’assemblée des fidèles, passo que t’ai vist,[1] on n’a qu’à obéir !

- Ouais, ajouta un autre qui avait des idées de gauche, en Occident, on a la liberté d’entreprendre, résultat les capitalistes sont de plus en plus riches et les prolétaires de plus en plus pauvres. C’est pour cette belle liberté que nous nous battons ? »


Volodimir reprit alors la parole :

« Oui, certes, ce que vous dites est vrai. Mais nous aurons un très grand privilège : nous ne serons jamais les esclaves d’un seul maître, au contraire de ceux que nous combattons. C’est probablement cela, être libre ; la liberté de faire ceci ou de faire cela, dans telle ou telle condition, et après tout... » À ce moment précis un missile tomba, anéantissant l’hôpital tout proche et la maternité par la même occasion, et tous n’eurent d’autre choix que de courir aux abris, laissant là leur entretien politico-philosophique...


[1]Cet être primitif s’exprime dans un langage inconnu, obsolète et ringard. Nous croyons deviner qu’il veut dire : « Tu peux courir ! »



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